Contrats internationaux, droit applicable et juridiction. Quel choix faites-vous ?

En pratique, il n'est pas toujours facile de choisir la loi applicable et la juridiction compétente. La position de négociation, les relations commerciales, la localisation des parties, le lieu de livraison, les règles d’ordre public,  etc. exercent tous une certaine influence.

En pratique, il n'est pas toujours facile de choisir la loi applicable et la juridiction compétente. La position de négociation, les relations commerciales, la localisation des parties, le lieu de livraison, les règles d’ordre public,  etc. exercent tous une certaine influence.

À la table des négociations, vous devez être capable de prendre la bonne décision dans ce domaine. Appliquer une loi différente à la dernière minute, sans tenir compte des conséquences possibles, peut revenir comme un boomerang.

Nous vous donnons quelques conseils et considérations de base ci-dessous.

Forum pour le règlement des différends - juridiction internationale

  1. Les principes de base
    Les parties disposent d’une grande liberté de choix. Tant pour les contrats où les deux parties sont domiciliées dans l'UE que pour ceux où une seule d'entre elles est domiciliée dans l’UE, les parties peuvent opter pour un tribunal de l'UE ainsi que pour un tribunal d’un pays situé hors de l’UE. Il est donc parfaitement possible pour une partie belge de conclure un contrat avec un fournisseur néerlandais,  où il est fait élection de for devant les juridictions chinoises.

    Si le défendeur est domicilié dans l'UE, en règle générale, les dispositions du règlement Bruxelles Ibis (règlement 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale) s'appliquent. Il existe toutefois des exceptions à cette règle: par exemple, en cas d'élection de for (devant une juridiction de l'UE), les règles du Règlement s'appliquent et ce, quel que soit le domicile des parties.

    Si le Règlement ne s'applique pas, il convient de se fonder sur les règles nationales de droit international privé de la juridiction saisie (sauf si un traité a été conclu avec l'État concerné). Pour la Belgique, en l'absence d'élection de for, si le défendeur est domicilié dans un État non membre de l'UE, il convient généralement de se baser sur les dispositions du code de droit international privé belge.

    Toutes ces sources de droit ont un régime assez souple pour la validité de l’élection de for. Cependant, l'élection de for est souvent conditionnelle et soumise à un certain nombre de conditions formelles et matérielles qui doivent perpétuer la volonté des parties. L'une des principales questions qui se pose, en pratique, concerne l'opposabilité d'une clause d'élection de for à l'autre partie (possibilité de reconnaissance et d’acceptation).

    En l'absence d'une clause d’élection de for, le lieu d'exécution du contrat (qui peut être déterminé, par exemple, par les Incoterms applicables) ou le domicile du défendeur sera souvent utilisé.

  2. Difficulté d'exécution d'un jugement belge en dehors de l'UE
    Souvent, les parties insèrent une clause d’élection de for désignant la compétence du tribunal belge en raison de leur familiarité avec leur propre système juridique. Il faut toutefois tenir compte du fait qu'un jugement belge devra souvent être exécuté dans un autre État.

    Au sein de l'UE, le jugement belge pourra être exécuté assez facilement dans un autre État membre.

    La possibilité de le faire également en dehors de l'UE dépend de l'existence d'un traité d'exécution entre la Belgique et le pays concerné. Souvent, ces traités prévoient une procédure assez lourde, impliquant divers contrôles de la décision judiciaire belge. Par exemple, peut être requis un contrôle de la loi appliquée (dit "contrôle de la loi convenable"), aux termes duquel la décision étrangère ne peut être exécutée que si la solution aurait également été possible selon la loi du tribunal étranger, ou l'exigence - dans certains pays - qu'une saisie-arrêt conservatoire nécessite toujours un titre exécutoire. Parfois, en outre, le lieu d'exécution exige que la procédure soit entièrement refaite dans ce pays.

    Par conséquent, dans certains cas, il semble préférable de poursuivre la partie adverse dans le pays de son domicile étant donné que cela peut simplifier l'exécution dans ce pays.

    Une autre solution est l'arbitrage car une sentence arbitrale est souvent plus facile à faire appliquer au niveau international qu'une décision de justice.

    L'arbitrage présente-t-il d'autres avantages par rapport à la procédure traditionnelle et existe-t-il des inconvénients ?

    Opter pour cette forme de résolution alternative des conflits présente un certain nombre d'avantages par rapport à la résolution traditionnelle des conflits mais cela suscite également un certain nombre de préoccupations.
    1. Avantages
  • Les parties peuvent désigner elles-mêmes le ou les arbitres : elles peuvent opter pour des arbitres ayant une expertise particulière en la matière, par exemple en matière de contrats ICT spécifiques, de transactions financières ou de grands projets contractuels
  • Éliminez les conflits de juridiction;
  • Rapidité de la procédure : une décision est souvent rendue plus rapidement que dans le cas d'une procédure traditionnelle devant les juridictions étatiques (mais les choix des parties concernant l'initiation de l'arbitrage ainsi que la disponibilité des arbitres peuvent néanmoins affecter la durée de l'arbitrage) ;
  • Discrétion ;
  • Les parties peuvent convenir de la langue de l'arbitrage. Par exemple, un arbitrage en Belgique peut parfaitement se dérouler en anglais ;
  • Choix du lieu de l'arbitrage (par exemple, pour la CCI en Belgique) ;
  • L'affaire peut souvent être traitée entièrement ‘en ligne’; les audiences physiques ne sont pas non plus publiques ;
  • L'exécution de la sentence arbitrale est plus facile et plus rapide au niveau international : il existe dans ce domaine plusieurs traités internationaux auxquels de nombreux pays sont parties et qui permettent une exécution sans heurts (voir par exemple la Convention de New York du 10 juin 1958 dont 156 pays sont signataires).
  • Peut apporter un confort supplémentaire en cas de contrat avec une partie située dans un pays sujet à la corruption.
  1. Inconvénients
  • Les coûts sont plus élevés que ceux des procédures ordinaires (une raison : les parties doivent payer non seulement leurs avocats mais aussi leur(s) arbitre(s)) ;
  • Un arbitre ne doit pas nécessairement être un juriste et n'est pas nécessairement soumis à des règles déontologiques ;
  • L'indépendance des arbitres n'est pas toujours garantie dans la même mesure que celle des juges étatiques.

Nous constatons que la discussion sur la compétence peut souvent être résolue en optant pour un arbitrage dans un lieu neutre (en pesant le pour et le contre, bien sûr).

Quelle loi s'applique au contrat ?

  1. Principes généraux
  • En l’absence de choix de loi

    A défaut de choix pour l'application d'une loi particulière, il est renvoyé aux règles de droit international privé, en cas de litige. Lorsque le litige sera porté devant une juridiction belge ou une autre juridiction de l'UE, celle-ci appliquera les règles de conflits de lois du règlement Rome I (règlement n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles) pour déterminer la loi applicable.

    Pour les contrats, il s'agira généralement de la loi du pays de l'une ou l'autre partie.

    Par exemple, pour des contrats de vente de biens: la loi de l'État membre où le vendeur est établi ; pour les contrats de prestation de services : la loi de l'État membre où le prestataire de services est établi. Il convient de garder à l'esprit que cette loi aura un impact sur les droits et obligations que les parties ont stipulés contractuellement, par exemple en termes d'interprétation, mais aussi comme cadre supplémentaire pour ce que les parties n'ont pas stipulé. Il convient de noter que le critère de rattachement pour la détermination de la juridiction compétente (lieu d'exécution du contrat) diffère du critère de rattachement pour la détermination de la loi applicable (loi d'établissement de la partie qui exécute la prestation caractéristique).

  • Choix de la loi applicable

    Les parties sont également toujours libres de choisir la loi applicable à leur accord.

    En principe, les parties peuvent choisir la loi de n'importe quel pays, sans qu'il soit nécessaire qu'il y ait un lien avec le contrat ou les parties. Il est parfaitement possible, entre des parties établies dans l'UE, de choisir la loi d'un autre État membre de l'UE ou d'un État tiers non membre de l'UE.

    Par exemple, un contrat entre un vendeur belge et un acheteur allemand peut convenir que le droit chinois s'appliquera. Toutefois, ce choix de loi n'est pas complètement libre et les parties sont soumises à des restrictions développées ci-dessous.

b. Considérations sur le choix de la loi applicable

  1. Modèles de contrats et alternatives

    Dans les modèles de contrats disponibles, les parties belges prévoient généralement l'application du droit belge. Dans la pratique, un cocontractant potentiel d'un autre pays insistera généralement pour appliquer la loi du pays dans lequel il est situé. Souvent, il s'agit d'un terrain inconnu et vous devez vous garder d'accepter sans poser de questions.
    Comme solution, vous pourriez alors suggérer d'appliquer la loi d'un pays "neutre" (dans le sens où il n'y a aucun lien avec l'une des parties contractantes). Par exemple, vous pouvez choisir le droit néerlandais ou allemand.

    Réflexions :

    a. Assurez-vous d'avoir fait des recherches sur ces alternatives au préalable afin de pouvoir évaluer leurs implications. Il est conseillé de faire examiner à l'avance les modèles de contrats pertinents par un spécialiste du droit néerlandais ou allemand (selon le cas) afin que les modèles soient prêts dans une version alternative.

    b.  Adaptez également le forum (pour les litiges) par rapport à ce choix de loi.

  2. Avez-vous suffisamment réfléchi aux conséquences du choix de l'une ou l'autre loi ?

    1.  Premièrement, la loi choisie peut être plus avantageuse pour une partie que pour une autre sur un point de droit particulier, par exemple, l'obligation de notification d'une livraison non conforme d’une vente peut être plus légère pour l'acheteur dans un système juridique que dans un autre. Opter pour l’application de cette législation est donc avantageux si vous intervenez en tant qu'acheteur.

      Toutefois, notez que vous choisissez d'appliquer l'ensemble du système juridique de la loi choisie et que cela peut inclure des règles qui sont également plus préjudiciables (par exemple, des règles plus strictes sur les clauses de dédommagement).

      À première vue, des concepts similaires peuvent être interprétés de manière complètement différente dans un autre pays, ou certains concepts juridiques peuvent tout simplement ne pas exister dans d'autres pays. Par exemple, le droit néerlandais ne connaît pas le concept juridique de l'indemnisation des vices cachés mais seulement l'exigence générale de conformité (que nous connaissons pour les achats effectués par les consommateurs, mais pas pour les achats commerciaux). Le système anglais ne connaît pas non plus le concept de vices cachés pour les contrats de vente.

      Un tel choix délibéré d'un "droit neutre" est compréhensible du point de vue de la négociation mais compromet la sécurité juridique.

      Si la loi choisie contient beaucoup de "droit impératif", cela peut signifier que le texte (ou certaines parties du texte) de l'accord ne s'appliquent pas (par exemple, la loi choisie ne prévoit pas de pouvoirs d'atténuation dans le cas de clauses de dommages-intérêts "punitifs").
    2. Les règles de la loi choisie par les parties peuvent également être "entravées" par des règles d'ordre public ou des règles de droit impératif spécial (‘lois de police’). Dans ce cas, la loi choisie est soit complètement écartée, soit "entravée" par les ‘lois de police’ de la loi de l'État de la juridiction compétente. Un juge devra appliquer les règles d'ordre public ou les ‘lois de police’ de sa propre loi. En revanche, un juge étranger n'est pas obligé d'appliquer les règles d'ordre public ou de ‘lois de police’ d'un autre État (il peut le faire).

      Par exemple, lors de l'évaluation des droits et obligations des parties, un tribunal belge tiendra compte des règles belges de concurrence déloyale, auxquelles est conféré un caractère d'ordre public, dans le choix d'une loi étrangère. Ou, par exemple, la loi de police belge sur les concessions ou la doctrine des clauses abusives de la loi B2B. Cela implique également que les parties ne peuvent pas "écarter" cette législation particulièrement contraignante en faisant un choix de loi pour la loi d'un pays tiers. Il convient toutefois de noter que la loi choisie reste "additionnellement" applicable aux aspects non réglementés par cette législation spéciale.

    3. Un changement de dernière minute du choix de la loi applicable peut entraîner une complexité supplémentaire imprévue. Par exemple, une société belge et une société française concluent un contrat et désignent l’application de la loi irlandaise. La partie française se retrouve en procédure de faillite et soudain, en tant que partie belge, vous devez demander conseil en vertu du droit français (règlement de la faillite) et du droit irlandais (contrat). Pour éviter cela, il est préférable d'opter pour la loi de l'une des parties.

  3. Langue
    L'accessibilité de la loi choisie est également importante pour choisir la loi applicable. Opter pour la loi d'un autre État nécessitera une traduction et engendrera des coûts supplémentaires. Les différences culturelles peuvent également jouer un rôle important à cet égard. Une bonne compréhension des différents termes juridiques est particulièrement importante lorsque l'on opère au-delà des frontières. L'organisation judiciaire joue également un rôle dans ce contexte, et chacun doit savoir clairement avec quels partenaires judiciaires il convient de coopérer. Par exemple, tous les pays ne connaissent pas le concept d'huissier ou de notaire. Les parties peuvent stipuler que certains contrats doivent être rédigés par acte notarié, or, tous les pays ne connaissent pas ce concept juridique ou encore n'attribuent pas la même valeur probante à ces actes.

  4. Existe-t-il des traités utiles qui pourraient fournir un cadre uniforme à la coopération envisagée ?
    Pour faire face aux problèmes susmentionnés, une autre solution peut également être choisie, à savoir : le droit non étatique, tel que la Convention de Vienne sur la vente de marchandises. Cette convention est souvent exclue (au motif qu'elle pourrait être au détriment de l'acheteur ou du vendeur), mais elle présente l'avantage de contenir des règles uniformes qui doivent être appréciées à travers le prisme des tribunaux nationaux, mais qui, ce faisant, doivent rester dans les limites de la Convention. Il a été ratifié par nos principaux partenaires commerciaux à l'intérieur et à l'extérieur de l'UE et il existe une jurisprudence abondante et accessible sur ce traité. De cette façon, vous pouvez toujours atténuer les risques liés au choix d'une autre loi. Bien entendu, le champ d'application des contrats doit être pertinent pour que la Convention de Vienne sur les ventes s'applique.

Pour conclure

Le choix du for et de la loi applicable, dans un accord international, n'est souvent pas une décision qui se prend instantanément. Cela nécessite un choix mûrement réfléchi, tenant compte des intérêts de toutes les parties concernées et des différences culturelles. Regarder au-delà des frontières juridiques, même dans nos pays voisins, nécessite une étude approfondie du contenu du droit étranger choisi ou du fonctionnement d'une juridiction étrangère.

Kristof Zadora et Kim Swerts

Monard Law

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