L'impact de l’augmentation des prix due à la crise économique actuelle sur la pratique des marchés publics

Un bref regard vers l’actualité suffit pour constater que le marché économique est volatil et imprévisible. Après l'impact de la pandémie du Covid-19, l'économie doit aujourd'hui faire face aux répercussions économiques de la guerre en cours en Ukraine et de la crise énergétique qui en découle.

L'impact de l’augmentation des prix due à la crise économique actuelle sur la pratique des marchés publics

Un bref regard vers l’actualité suffit pour constater que le marché économique est volatil et imprévisible. Après l'impact de la pandémie du Covid-19, l'économie doit aujourd'hui faire face aux répercussions économiques de la guerre en cours en Ukraine et de la crise énergétique qui en découle. Cela se traduit non seulement par des hausses de prix importantes dans tous les domaines (matières premières, matériaux, carburants, etc.), mais aussi par des pénuries de matériaux et des problèmes d'approvisionnement persistants.

Ces éléments économiques ont un impact spécifique sur la pratique des marchés publics et soulèvent des questions intéressantes en ce qui concerne l’exécution des marchés publics en cours. De quelle manière un entrepreneur peut-il réagir lorsqu'il est confronté à des pénuries et à des prix insoutenables qui perturbent gravement l'équilibre économique d'un marché public en cours ? Quelles sont les options du pouvoir adjudicateur dans un tel cas? Dans ce contexte, le pouvoir adjudicateur doit-il supporter tous les risques sans se poser de questions, ou existe-t-il une répartition possible de ceux-ci? En l'absence de toute initiative législative, il faut, pour l'instant, chercher une réponse dans la réglementation des marchés publics en vigueur.

Les règles générales d'exécution à la rescousse ?

Le cadre contractuel applicable à un marché public en cours d'exécution est déterminé par les règles générales d'exécution contenues dans l'arrêté royal du 14 janvier 2013 établissant les règles générales d'exécution des marchés publics (ci-après « RGE ») (sous réserve de dispositions dérogatoires contenues dans les documents contractuels). Pour donner suite aux recommandations formulées par la Chancellerie du Premier Ministre à cet égard, les RGE pourraient être appliquées et permettraient de répondre au déséquilibre économique d'un marché public en cours d’exécution en raison des conditions actuelles du marché économique.

Par exemple, un adjudicataire pourrait exiger l'application d'une formule de révision de prix (modifiée) en vertu de l'article 38/7 RGE. En effet, il semble concevable que la formule de révision des prix indiquée dans les documents de marché ne reflète pas l'évolution actuelle des prix, de sorte que le prix de revient fixé dans les documents de marché ne corresponde plus au prix de revient réel pour l'entrepreneur. Une adaptation de la formule de révision des prix sur la base du contexte économique actuel concernant les salaires (horaires), les cotisations de sécurité sociale, les prix des matières premières et des matériaux, etc., permet de rétablir, dans une certaine mesure, le déséquilibre économique subi par l’adjudicataire.

En vertu de l'article 38/9 RGE, un entrepreneur peut également invoquer la survenance de circonstances imprévisibles. En effet, il n'est pas exclu que les conditions économiques actuelles du marché revêtent un caractère imprévisible dans le chef d’adjudicataire, entraînant une rupture de l'équilibre contractuel. En conséquence, l’adjudicataire pourrait réclamer une révision, qui pourrait consister en une prolongation de la période d'exécution ou, en cas de désavantage important si certains seuils financiers sont atteints, en une indemnité, voire encore en l'annulation du contrat.

Le pouvoir adjudicateur pourrait également invoquer, en vertu de l'article 38/2 RGE, la survenance de telles circonstances imprévisibles pour modifier un marché public en cours. En effet, même dans le chef d'un pouvoir adjudicateur, il ne peut pas être exclu que les circonstances économiques actuelles rendent impossible l'exécution du marché public (par exemple, en raison d'un manque de ressources financières).

Pour pouvoir prétendre à une révision du contrat, tant l’adjudicataire que le pouvoir adjudicateur devront être en mesure de démontrer l’imprévision des circonstances que constituent la guerre en Ukraine et l’inflation pour justifier l'application de ces mécanismes.

En tout état de cause, dans le respect de l'article 38/4 RGE, le pouvoir adjudicateur a la possibilité de modifier le marché public de manière mineure, par exemple en réduisant l'étendue du contrat pour que son exécution ultérieure puisse être financièrement viable. En outre l'application des articles 38/5 et 38/6 RGE permet aussi la modification du marché. Il peut être fait usage de ces dispositions de manière générale, dans la mesure où de telles modifications ne peuvent pas être considérées comme substantielles (en conduisant, par exemple, à un résultat d'attribution différent). Toutefois, il n'est pas certain qu'une modification unilatérale donne lieu à des demandes d'indemnisation supplémentaires de la part de l’adjudicataire.

En ce qui concerne l’exécution des marchés en cours, les RGE semblent donc offrir des possibilités permettant d'atténuer quelque peu l'impact des conditions actuelles du marché économique sur les marchés publics en cours.

Les règles générales d'exécution en pratique : le Saint Graal, ou pas ?

La question se pose néanmoins de savoir si ces mécanismes contractuels peuvent effectivement remédier à l’instabilité actuelle du marché économique.

La question de savoir si une clause de révision de prix peut effectivement contrecarrer l’inflation est particulièrement incertaine à l’heure actuelle. Un ajustement de celle-ci s'imposera vraisemblablement pour déterminer le véritable prix de revient. En raison de la nature volatile des prix, il n'est pas facile d'établir des paramètres objectifs qui puissent refléter la véritable évolution des prix. Un simple ajustement d'une formule de révision des prix peut donc ne pas suffire à rétablir le déséquilibre économique. En outre, l'adaptation d'une clause de révision de prix doit en principe se fonder sur l’existence de circonstances imprévisibles dont le régime est fixé par l'article 38/9 RGE.

Le fait, pour l’adjudicataire, de soulever la survenance de circonstances imprévisibles, entraîne à son égard des formalités particulières. Par exemple, les circonstances invoquées doivent être notifiées par écrit au pouvoir adjudicateur dans les 30 jours de leur survenance ou de la date à laquelle il aurait normalement dû en avoir connaissance. En raison de la nature des circonstances invoquées, la question de savoir quand les circonstances se sont produites ou quand l'entrepreneur aurait dû en avoir connaissance peut être contestée. En ce sens, la question peut également se poser, et ce tant à l'égard de l'entrepreneur que du pouvoir adjudicateur (selon qui s'y fie), de savoir dans quelle mesure les faits invoqués peuvent encore être considérées comme imprévisibles.

En outre, il n'est pas non plus exclu que le fait de se prévaloir des contingences économiques ou d'imposer des modifications ne puisse pas (plus) conduire à un rétablissement de l'équilibre économique, et que seule la résiliation du contrat puisse être considérée comme une solution acceptable, entraînant des désavantages financiers et éventuellement des discussions de grande envergure.

Marchés futurs : un homme averti...

Pour les marchés publics futurs, il est donc approprié, comme le suggère également la Chancellerie du Premier Ministre, pour les pouvoirs adjudicateurs, de prendre en compte les préoccupations actuelles lors de la préparation des documents de marché dans le but d'éviter les problèmes en cours d'exécution. Il semble donc souhaitable - dans la mesure du possible - d'inclure des clauses appropriées de révision des prix (même si cela ne serait pas obligatoire) et de prévoir également une clause de révision claire en cas de déséquilibre contractuel. Cette dernière peut prendre la forme d'une clause dérogeant aux dispositions standard visées, entre autres, par l'article 38/9 RGE et stipuler alors, par exemple, la manière dont l’évolution du prix de l'énergie ou des combustibles est prise en compte pour adapter les prix du contrat.

Les parties au contrat peuvent également intervenir sur base volontaire, dans le cadre des marchés publics en cours, en adaptant le cadre contractuel en fonction des conditions économiques actuelles. A cet égard, il peut être fait référence au récent ordre de service du 19 juillet 2022 du Ministère flamand de la Mobilité et des Travaux Publics, qui dispose que les clauses de révision des prix en vigueur seront ajustées afin qu'elles soient désormais plus conformes aux évolutions réelles des prix, en n'utilisant, entre autres, plus la valeur du paramètre du mois précédent la réclamation, mais plutôt celle du mois de la réclamation ou du mois suivant.

En tout état de cause, il est également conseillé aux entrepreneurs désireux de soumettre une offre dans le cadre d’un marché public d'évaluer soigneusement et systématiquement les documents contractuels afin de procéder à une évaluation des risques prudente en vue d'une exécution rentable du marché. En effet, le cadre contractuel des RGE ne peut pas être considéré comme un bon à faire valoir pour formuler des demandes d'indemnisation à tout va. 

Bérénice Wathelet – Maëlle Rixhon – Gauthier Dresse

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