Mécanisme de filtrage pour les investissements étrangers directs (« IDE »)

Notre économie belge attire les investisseurs étrangers depuis des décennies. Cela a souvent conduit à des ventes à des actionnaires étrangers, sans aucune implication ou contrôle d’un gouvernement.

Introduction et contexte

  1. Notre économie belge attire les investisseurs étrangers depuis des décennies. Cela a souvent conduit à des ventes à des actionnaires étrangers, sans aucune implication ou contrôle d’un gouvernement. Quelques exemples sont bien connus, la vente d’égouts à des fonds d’investissement américains (par le biais de ce que l’on appelle le « sale and lease back ») l’est peut-être un peu moins, la frénésie médiatique autour de l’investissement potentiel de la société d’État chinoise State Grid dans Eandis est plus fraîche dans la mémoire, tout comme l’investissement de Ping An dans Fortis. La question des investissements étrangers prend une dimension supplémentaire pour les entreprises qui touchent à la sécurité nationale, d’autant plus si l’investisseur n’est pas une partie européenne.
  1. Au niveau européen, le règlement (2019/452) établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers susceptibles de porter atteinte à la sécurité ou à l’ordre public des États membres de l’Union est entré en vigueur. Le règlement ne crée pas un mécanisme de filtrage européen, mais établit un cadre d’exigences de base qu’un mécanisme de filtrage doit respecter si les États membres décident d’en créer un. Il existe en outre un devoir d’échange d’informations et de coopération de la part des États membres qui ont mis en place un mécanisme de filtrage. Dans le cadre de ce mécanisme de coopération européenne, le SPF Économie est le point de contact national pour la Commission européenne, et est responsable du suivi des notifications des autres États membres.
  1. Ce règlement a donné lieu à l’accord de coopération du 1er juin 2022 « visant à instaurer un mécanisme de filtrage des investissements directs étrangers ».

Entre-temps, plusieurs initiatives ont déjà été prises par les autorités compétentes pour organiser l’adoption de cet accord de coopération, et ce processus pourrait connaître sa conclusion finale à l’automne en vue d’une entrée en vigueur le 1er janvier 2023 (vraisemblablement).

Contenu de l’accord de coopération

Nous examinons brièvement ci-dessous les principales dispositions du projet d’accord de coopération, que la pratique devra étoffer.

  1. Objet. L’accord de coopération vise à sauvegarder la sécurité nationale, l’ordre public et les intérêts stratégiques du gouvernement fédéral et des différentes communautés et régions, et établit les procédures et modalités de contrôle des investissements directs étrangers. Comme le soulignent plusieurs avis, il convient de trouver un équilibre entre l’importance d’une économie ouverte, d’une part, et les risques (éventuels) que cela représente pour les intérêts de sécurité, d’autre part.
  1. Définitions. L’accord de coopération contient les définitions pertinentes suivantes :
  • Le pouvoir de contrôle, c’est-à-dire la possibilité d’exercer, directement ou indirectement, en fait ou en droit, une influence déterminante sur l’activité de l’entreprise (droits sur les actifs de l’entreprise ou sur la composition, le comportement de vote ou les décisions d’un ou plusieurs organes) ;
  • les informations sensibles sont celles dont la divulgation affecterait la défense de l’intégrité du territoire belge, la défense et les forces armées, la sécurité extérieure et intérieure y compris l’énergie nucléaire, la survie de l’ordre démocratique et constitutionnel, les relations internationales, le potentiel scientifique et économique,... ;
  • l’investisseur étranger, à savoir la personne physique ayant sa résidence principale en dehors de l’UE, une société d’un pays non membre de l’UE ou une société dont un UBO a sa résidence principale en dehors de l’UE ;
  • les intérêts stratégiques sont ceux qui garantissent la continuité des processus vitaux, empêchent que certaines informations ne tombent entre des mains étrangères et garantissent un choix stratégique.
  1. CFI. Un Comité de Filtrage Interfédéral (« CFI ») sera créé, composé de neuf membres représentant les différentes autorités concernées par l’accord de coopération (SPF Finances, SPF Affaires intérieures, SPF Affaires étrangères, Régions flamande, wallonne et Bruxelles-Capitale, et les trois Communautés).
  1. Champ d’application. L’accord de coopération s’applique aux investissements directs étrangers qui peuvent avoir un impact sur la sécurité, l’ordre public et les intérêts stratégiques des gouvernements concernés et vise à établir ou à maintenir des relations directes entre l’investisseur étranger et l’entreprise.
  1. Les investissements étrangers. Les investissements étrangers sont répartis en deux catégories.
    • D’une part, il y a les investissements qui aboutissent directement ou indirectement à l’acquisition d’au moins 25 % (peut être réduit à 10 %) des droits de vote dans des sociétés ou entités établies en Belgique et dont les activités touchent aux infrastructures vitales (il existe une liste de catégories), aux technologies et matières premières essentielles pour les intérêts liés à la sécurité et à l’ordre public, à la fourniture d’intrants critiques, à l’accès aux informations sensibles, au secteur de la sécurité privée, à la liberté des médias et aux technologies d’importance stratégique dans le secteur de la biotechnologie, pour autant qu’ils remplissent certaines conditions supplémentaires ;
    • D’autre part, il y a les investissements qui entraînent directement ou indirectement l’acquisition d’au moins 10 % des droits de vote dans des sociétés basées en Belgique et dont les activités sont liées aux secteurs de la défense (y compris l’énergie, la cybersécurité,...) et dont le chiffre d’affaires annuel de l’exercice précédant l’acquisition d’au moins 10 % des droits de vote a dépassé 100 millions d’euros.
  1. Notification obligatoire. Les investisseurs étrangers qui vont acquérir le pouvoir de contrôle doivent en informer le CFI et son secrétariat après la conclusion, mais avant la mise en œuvre du contrat, la divulgation de l’offre d’achat ou d’échange, ou l’acquisition d’une participation au pouvoir de contrôle. Les parties peuvent également notifier un projet d’accord. Il existe également une obligation de notification lors de l’acquisition de participations par le biais de la bourse.
  1. Procédure. Dès réception du dossier (l’accord de coopération précise les informations à communiquer), les membres compétents du CFI procèdent à la procédure d’examen. Il s’agit de déterminer si l’investissement peut avoir un impact potentiel sur l’ordre public, la sécurité nationale ou les intérêts stratégiques. Le cas échéant, une procédure de filtrage suit. Les décisions du CFI sur l’admissibilité de l’investissement ou la décision de lancer une procédure d’examen préalable doivent être signifiées aux parties dans les 40 jours suivant la réception du dossier. Si le délai est dépassé, les procédures de sélection ne peuvent plus être lancées et l’investissement sera considéré comme autorisé. Certaines règles spécifiques concernent les conséquences d’informations incomplètes ou trompeuses.

Pendant la procédure d’évaluation et d’examen préalable, l’investisseur étranger et la société belge doivent cesser la mise en œuvre ou l’achèvement de l’investissement jusqu’à ce qu’une décision soit signifiée aux parties notifiantes indiquant qu’aucune autre procédure d’examen préalable ne sera engagée ou que l’investissement sera autorisé. Les délais peuvent être prolongés exceptionnellement.

La procédure de filtrage aboutit à un avis adressé aux ministres concernés.

  1. Organe d’appel. Une décision de non-admission de l’investissement étranger ne peut faire l’objet d’un appel que devant la Cour des marchés/Marktenhof. La Cour des marchés décide avec un pouvoir de pleine juridiction des amendes imposées par le CFI. L’appel n’a pas d’effet suspensif. Lorsque la Cour des marchés annule une décision, l’affaire est renvoyée (de manière limitée ou non) au CFI où l’investissement étranger est réexaminé.

Benoit Samyn

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